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CONCLUSION.

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Je puis en terminant cet ouvrage répéter ce que je disais au commencement de ce chapitre: «Me
voilà donc arrivé au but de toutes mes espérances!» Mais cette fois, s’il plaît à Dieu, comme disait
mon guide Mohammed, aucune tentation ne viendra désormais modifier mes plans de félicité.
J’espère longtemps encore (toujours s’il plaît à Dieu), jouir de cette douce et paisible existence que
j’avais à peine goûtée, lorsque l’ambition et la curiosité m’ont conduit en Algérie.
Rentré chez moi, j’ai installé dans mon cabinet de travail les instruments de mes séances, mes
fidèles compagnons, je dirais presque mes vieux amis. Je vais maintenant m’abandonner tout entier à
mon goût, à ma passion pour les applications de l’électricité à la mécanique.
Qu’on ne croie pas cependant que, pour cela, je renie l’art auquel je dois tant de jouissances!
Loin de moi cette pensée; plus que jamais je suis fier de l’avoir cultivé, puisque c’est à lui seul que
je dois le bonheur de me livrer à mes nouvelles études. Du reste, je m’en éloigne peut-être moins
qu’on ne serait tenté de le croire; il y a longtemps que je fais des applications de l’électricité à la
mécanique et je dois avouer, si déjà mes lecteurs ne l’ont deviné, que l’électricité a joué un rôle
important dans plusieurs de mes expériences. En réalité, mes travaux d’aujourd’hui ne diffèrent de
ceux d’autrefois que par la forme; ce sont toujours des prestiges.
Un reste d’amour pour mon ancienne profession d’horloger m’a fait choisir les instruments
chronométro-électriques pour but de mes travaux. J’ai adopté pour programme: Populariser les
horloges électriques en les rendant aussi simples et aussi précises que possible. Et comme l’art
suppose toujours un idéal que l’artiste cherche à réaliser, je rêve déjà ce jour où un réseau de fils
électriques partant d’un régulateur unique, rayonnera sur la France entière et portera l’heure précise
dans les plus importantes cités comme dans les plus modestes villages.
En attendant, dévoué à la cause du progrès, je travaille incessamment avec l’espoir que mes
modestes découvertes seront de quelque utilité dans la solution de cet important problême.
Voici quelques-uns des résultats que j’ai obtenus jusqu’à ce jour:
NOUVELLES APPLICATIONS DE L’ÉLECTRICITÉ A LA MÉCANIQUE.
1º Appareil pour le transport d’un courant électrique et la reproduction successive, à l’aide de ce
même courant, d’un nombre quelconque d’effets mécaniques.
2º Appareil contrôleur et distributeur des courants électriques pouvant obvier aux arrêts des courants
formant un long circuit.
3º Régulateur électrique sans aucun rouage, à l’abri de toute influence des variations des courants
électriques.
4º Pendule électrique populaire, marchant par un petit élément Daniel, et pouvant conduire, sans
augmentation de dépense d’électricité, un cadran de deux mètres de diamètre.
5º Sonnerie électrique sans aucun rouage, pouvant être conduite à quelque distance que ce soit par la
pendule électrique ci-dessus.
6º Cadran électrique pour clocher ou autre monument, marchant sans le secours d’horloge-type. Ce
cadran, le premier de ce genre, a été placé au fronton de l’Hôtel-de-Ville de Blois, auquel j’en ai
fait hommage. Il marche, depuis dix ans, avec la plus grande régularité.
7º Nouvelle disposition électrique servant à supprimer automatiquement, pendant la nuit, un courant
électrique et à le rétablir pendant le jour. Ce système produit une économie de moitié et peut
s’appliquer aux cadrans qui ne sont pas éclairés, la nuit.
8º Pile de Smee, ne plongeant dans le liquide que lorsque son courant est nécessaire à une action
mécanique, et se relevant aussitôt qu’elle ne doit plus fonctionner.
9º Nouvelle sonnerie pour les grosses cloches, conduite par la petite pendule nº 4.
10º Répartiteur électrique, à l’aide duquel on peut centupler une attraction magnétique. Cet appareil
a été présenté à l’Académie en 1856 (Rapporteur, M. Desprez).
Voici comment, dans le Cosmos, t. 8, p. 330, s’exprime l’abbé Moigno sur cette invention, après
en avoir fait la description: «En résumé, le répartiteur, si petit et si humble en apparence, est l’une
des grandes nouveautés de l’Exposition universelle de 1855.
«Au point de vue de la mécanique, c’est un organe entièrement nouveau, qui sera bientôt appliqué
de mille manières différentes, à mille usages, et qui rendra d’innombrables services. Au point de vue
de la physique et des applications de l’électricité, c’est une découverte immense. M. Robert-Houdin,
dont les forces sont centuplées par son répartiteur, est seul aujourd’hui en mesure de résoudre le
plus grand des problèmes à l’ordre du jour, de réaliser enfin le moteur électrique[25], etc., etc.»
Ma séance est terminée (il faut se rappeler que c’est sous ce titre que j’ai présenté mon récit);
j’ai toutefois l’espoir de la reprendre bientôt. Il me reste encore tant de petits et de grands mystères à
dévoiler! La prestidigitation est une immense carrière que la curiosité peut longtemps exploiter. Je ne
prends donc point congé du public, ou pour mieux dire, du lecteur, car, sous cette seconde forme de
représentation que j’ai adoptée, mes adieux ne seront définitifs que lorsque j’aurai épuisé tout ce qui
peut être dit sur les prestidigitateurs et la prestidigitation; ces deux mots serviront de titre à
l’ouvrage qui fera suite à mes Confidences.