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Robert Houdin. Comment on devient sorcier. PRÉFACE.

-St-Gervais-Mairie

Cartes postales anciennes de Saint-Gervais-la-Forêt dans le Loir-et-Cher (41)

SAINT-GERVAIS, près Blois, septembre 1858.
Huit heures sonnent à ma pendule…. J’ai près de moi ma femme, mes enfants; je viens de passer
une de ces bonnes journées que peuvent seuls procurer le calme, le travail et l’étude; sans regret du
passé, sans crainte pour l’avenir, je suis, je ne crains pas de le dire, aussi heureux qu’on peut l’être.
Et cependant, à chaque vibration de cette heure mystérieuse, mon pouls s’élance, mes tempes
battent avec force, je respire à peine, j’ai besoin d’air, de mouvement. Si l’on m’interroge, je ne
réponds pas, tant mon âme est absorbée dans une vague et délicieuse rêverie!
Vous l’avouerai-je, lecteur? Et pourquoi pas? Cet effet électrique, sinon magique, n’a rien qui ne
puisse être facilement compris de vous.
Si dans ce moment mon émotion est aussi vive, c’est que dans le cours de ma carrière d’artiste,
huit heures étaient le moment où j’allais paraître en scène. Alors, l’oeil avidement appliqué au trou
du rideau, je voyais avec un plaisir extrême la foule qui se pressait à l’envi pour me voir. Ainsi qu’à
présent, le coeur me battait, car j’étais heureux et fier d’un tel succès.
Souvent aussi, à ce sentiment venait se mêler une inquiétude, un doute même. Mon Dieu! me
disais-je avec terreur, suis-je assez sûr de moi pour justifier un tel empressement, une telle vogue?
Mais bientôt, rassuré par le passé, je voyais avec plus de calme arriver l’instant suprême
d’agiter la sonnette. J’entrais alors en scène; j’étais près de la rampe devant mes juges; je me trompe,
devant des spectateurs amis dont j’allais essayer de gagner les suffrages.
Concevez-vous, maintenant, lecteur, tout ce que cette heure rappelle en moi de souvenirs, et
comprenez-vous qu’elle soit restée dans mon esprit toujours solennelle et toujours émouvante?
Ces émotions, ces souvenirs, ne me sont point pénibles: je les évoque, au contraire, et je m’y
complais. Quelquefois même il arrive que, pour les prolonger, je me transporte mentalement sur mon
théâtre. Là, comme jadis, j’agite la sonnette, le rideau se lève, je revois mes spectateurs, et, sous le
charme de cette douce illusion, je me plais à leur raconter les épisodes les plus intéressants de ma
vie d’artiste. Je dis comment une vocation se révèle, comment s’engage la lutte contre les difficultés
de toutes sortes, comment enfin….
Mais pourquoi de cette fiction ne ferais-je pas une réalité?…. Ne pourrais-je pas, chaque soir,
alors que huit heures sonnent, guidé par de fidèles souvenirs, continuer sous une autre forme le cours
de mes représentations d’autrefois?…. Mon public serait le lecteur, et ma scène un volume…..
Cette idée me séduit, je l’accueille avec joie, et me laisse aussitôt bercer par ces riantes
illusions. Déjà je me vois en présence de spectateurs dont la bienveillance m’encourage…. Il me
semble que l’on attend…. que l’on écoute.
Sans plus hésiter, je commence…..

St.Gervais-la-Foret-Vue-ge-ne-rale