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Adolphe BLIND (Le professeur Magicus) par Alfred CHAPUIS (les automates truqués)

« La prestidigitation — a dit le Professeur Magicus lui-même — est l’art de s’amuser en amusant les autres. » il faut avouer cependant que seule la seconde partie de la définition est toujours exacte, car si le manipulateur mystérieux projette d’agréables illusions pour la plus grande joie de tous, ce n’est pas sans avoir exécuté auparavant un labeur souvent très cet art subtil ne s’improvise pas et l’on ne devient pas « apôtre du merveilleux » en se jouant. A. Blind le savait, lui qui, à une imagination féconde en inventions, joignait  une patience à toute épreuve et un travail de recherches infini. Grâce  à lui et à d’autres de ses confrères de la même école, ce qui pouvait ne paraître qu’un charmant divertissement, est devenu un art raisonné et presque une science, sinon dans ses effets qui toujours apportent la surprise ou la joie, du moins dans sa conception de plus en plus ordonnée et subtile.

Adolphe Blind, connu sous le pseudonyme de Professeur Magicus, est né en 1862 à Genève où il fit toutes ses études. Au sortir de l’Université, les circonstances l’obligèrent à embrasser une situation commerciale dans la maison de son père. Mais en 1899, il se retira des affaires et consacra dés lors toute son activité à la « magie blanche ».

Bien que pratiquant son art en amateur, il acquit dans ce domaine une science telle, qu’elle lui valut auprès des meilleurs professionnels une notoriété de premier ordre.

Adolphe Blind n’avait que quatorze ans, lorsqu’il assista à une représentation du prestidigitateur Agoston. Il en conçut pour cet art un enthousiasme qui devint la passion de sa vie. Ce rêve d’enfance, il parvint à le réaliser à force de Patience et d’ingéniosité. En six mois, le répertoire du nouvel adepte atteignit 130 expériences.

Mais il ne se contenta bientôt pas de copier et se révéla inventeur d’une imagination extraordinairement féconde.

Son premier succès personnel fut un tableau que l’on montrait de très près à l’assistance et dans lequel apparaissaient six cartes tirés par des spectateurs auxquels l’illusionniste les désignait aussitôt.

Toutefois, le professeur ne gardait pas pour lui le privilège de ses inventions et désirait avant tout en faire profiter ses confrères. C’est ainsi qu’il écrivit pour plus de vingt revues et journaux spéciaux de divers pays, de nombreux articles contenant principalement des descriptions de tours, et qui étaient fort goûtés. Les attestations à cet égard sont des plus louangeuses.

Il est vrai que l’on oublia parfois de lui attribuer la paternité de ses idées et certains illusionnistes peu scrupuleux les présentaient comme nouveautés

personnelles : « Combien d’inventions ont été médaillées avec les inventions de Magicus ! » écrivait en 1908, M. Agosta-Meynier, mais il ajoutait très  justement aussi : « Que notre collègue Blind se console ; on ne copie que ce qui est supérieur. »

Cependant les témoignages de reconnaissance et d’admiration sont les plus nombreux et maint prestidigitateur célèbre ne craignait pas de dire que telle création du Professeur Magicus avait été un nouveau succès pour lui.

 

De combien de trucs inédits notre ami enrichit-il son art ? Une revue anglaise (The Magical World) lui en attribuait en 1913 environ 900. Depuis lors, le nombre en fut considérablement augmenté car, d’après ses propres notes, les inventions ou les perfectionnements qu’il apporta à la « magie simulée », atteignent le chiffre de 4924.

C’est surtout dans les appareils de prestidigitation qu’il se révéla novateur.

Blind en imagina des quantités el les construisait lui-même dans son atelier, les expérimentant ensuite sur la petite scène qu’il avait édifiée dans les sous-sols de la « villa Magica ». Elle constituait pour lui un laboratoire d’essais et de mise au point. « J’invente, disait-il, plus d’appareils qu’un évêque n’en pourrait bénir, de sorte que c’est souvent le temps matériel qui me manque pour les construire. »

 atelier

Son Distributeur automatique est bien l’appareil le plus énigmatique qu’il soit possible de voir. Il fut présenté en 1905 au Théâtre Robert-Houdin et Paris et y obtint un très vil succès. En voici, d’après L’Illusionniste (Paris, juin 1905), une succincte description « Figurez-vous une boite cubique en bois, de 15 à 20 centimètres de côté. Le dessus et les quatre côtés de cette boite sont munis de portes qui laissent voir l’intérieur vide, le fond porte un tube ou douille nickelée qui permet d’élever cet appareil sur un pied aussi en nickel et placé sur un guéridon.

» L’intérieur ayant été montré vide et l’appareil mis en place sur son support, l’opérateur donne à mélanger un jeu de cartes qu’il place dans la boite, puis il annonce que cet intelligent distributeur est à même de livrer les cartes demandées par les spectateurs, parmi les quels il n’y a pas de compères ; seulement, comme tous ses pareils, celui-là ne donne rien pour rien. Son tarif est même assez élevé : une carte coûte cinq francs.

» Six pièces de cinq francs sont réunies à cet effet. Un spectateur est invité à nommer une carte à haute voix.

» Le prestidigitateur,  se plaçant au milieu du public, lance invisiblement une de ces pièces, qui ont été marquées, dans la boite où on l’entend tomber. Et, aussitôt, par une fente ad hoc, pratiquée sous ce coffret, on voit apparaître la carte demandée, qui est revue sur un plateau.

» Moyennant autant de pièces de cinq francs préalablement marquées par un spectateur, cinq nouvelles cartes sont obtenues.

» Cependant si, par esprit de taquinerie, un spectateur demande une carte déjà sortie, l’adroit appareil ne se démonte pas pour si peu, très honnêtement, il rend l’argent.

»Il fournit encore des bonbons , des ci gares et des cigarettes, et à la fin il rend toutes les pièces de cinq francs marquées qui sont reconnues pour celles empruntées.

» Le jeu de cartes est ensuite retiré du distributeur et chacun peut constater que les cartes délivrées par cette boite magique ne s’y trouvent plus. »

Les collections du Professeur Magicus, et surtout sa bibliothèque, n’ont pas moins contribué à sa célébrité, et lors que son collègue Neulat dit de lui qu’il était «l’Encyclopédie de la prestidigitation », il n’ était pas loin de la vérité.

Il a, c’est certain, constitué par lui-même de très importantes archives.

Tout y est catalogué avec soin articles biographiques, appréciations de toute nature, photographies, lettres. Petits et grands trucs, anciens et nouveaux ont leur fiche ; ils sont accompagnés d’une explication claire pour la démonstration et pour la présentation à la bis. Elle nombre d’appareils et autres objets servant aux tours de passe-passe est considérable aussi. Il me souvient en particulier de sa collection de jeux de cartes truqués au nombre de… quatre cents!

Le Professeur Magicus recevait une énorme correspondance et c’est ainsi qu’il a pu réunir 916 autographes de personnes appartenant à l’art qu’il professait. L’examen de ce dossier unique  témoigne en même temps de l’estime que ses collègues lui témoignaient.

Tout cet ensemble forme un véritable musée des chefs-d’œuvre de plusieurs générations de magiciens.

Quant à sa bibliothèque, elle est, sans aucun doute, la plus riche de ce genre en Europe et ne compte pas moins de 2134 volumes de toutes langues traitant de la prestidigitation ou y touchant par quelques points. A côté des « classiques » au grand complet, que de livres rarissimes rassemblés à grand’peine. En 1920 lui publié chez G. Johnson à Londres une Bibliography of Conjuring and Kindred Arts par S. W. Clarke et Adolphe Blind. Elle donne la nomenclature de la presque totalité de cette bibliothèque, soit, et ce moment-là, 1750 titres.

bibiotheque

Mais le Professeur Magicus ne fut pas seulement un théoricien ; il était en même temps un praticien remarquable. Bien qu’il se déclarait toujours amateur, son habileté d’escamoteur était surprenante et faisait l’admiration des maîtres ès illusions.

Il y a cependant quelque chose que le Professeur Magicus ne sut jamais escamoter : c’ est son amabilité égard de ses amis et sa complaisance envers tout le monde. Il aimait it rendre service et toujours de la façon la plus simple et la plus discrète. Bien plus, la prestidigitation était devenue pour lui un moyen de faire le bien, et cela non pas d’une manière contrite et avec des airs de commisération, mais en répandant de l’illusion gaie, de la joie.

En effet, Adolphe Blind se prodiguait en une multitude de séances dont le profit allait toujours à une œuvre intéressante et le plus souvent à une œuvre de bienfaisance. C’étaient celles qu’a donnait à la Vente paroissiale de Saint-Gervais, au Bazar chênois, aux anciens élèves du Collège de Genève, aux malades de l’hôpital, puis aux employés de ce même hôpital, aux aliénés même.

Ou bien les représentations étaient données en faveur de la Crèche, des Colonies de vacances, etc.

Son ami Jaques Dalcroze le pria également d’amuser les élèves de son institut, ce qu’il fit avec sa bonne humeur habituelle. Il y a de nombreuses années déjà, le futur maître de la Gymnastique rythmique, qui signait encore Emile Jaques, lui avait, en guise de remerciement, improvisé un quatrain se terminant ainsi « On n’y voit que du feu, on n’y comprend plus rien, On était tout anxieux, donnant sa langue aux chiens. »

A l’époque de Noèl, très que toutes ses soirées étaient prises. Des sociétés s’inscrivaient deux ou trois mois à l’avance. Parfois c’étaient des inconnus qui s’adressaient à lui ; il s’agissait de remplir un vide, de corser un programme, et l’on employait un moyen détourné : Est-ce que vous ne pourriez pas nous donner adresse d’un prestidigitateur pour amuser les enfants? » ou mieux encore : « M. Blind ? (demandait-on au téléphone) — C’est — On nous dit que vous connaissez le Professeur Magicus qui fait des tours d’ escamotage…

» Le Professeur Magicus souriait malicieusement, mais se gardait de refuser.

Il arriva souvent qu’ à la fin d’une soirée on oubliât de l’aider à mettre abri les appareils délicats qu’il avait ait apporter et dont plusieurs furent détériorés aussi finalement s’ arrangeait-il pour ne prendre avec lui qu’une petite valise, et c’était déjà prés que un tour de magicien que d’y faire contenir tant de choses en si peu d’espace.

Les illusions présentées dans ces séances étaient des plus variées. Quelques-unes avaient sa préférence : les anneaux chinois, les cubes qu’il plaçait les uns au-dessus des autres et que Ion voyait paraître avec des numéros dans l’ordre souhaité par les spectateurs. Ou bien, d’une minuscule malle japonaise, il sortait une multitude d’ objets : fleurs, drapeaux, foulards et jusqu’à des réveils qui sonnaient.

C’est en août 1925, pendant une représentation donnée à des enfants, qu’ en pleine activité d’artiste lui emporté ; fin prématurée d’une existence si digne d’être donnée en exemple.

Adolphe Blind avait obtenu au concours du 1er juin 1906 organisé par la Chambre syndicale de la Prestidigitation à Paris (dont il faisait partie) une médaille d’argent. il reçut aussi le 4 mai 1910 une plaquette à son nom de l’ Association des Artistes prestidigitateurs (Paris), à laquelle à appartenait également. L’ Association magique le comptait de même parmi ses membres.

A Lyon, s’ est formée assez récemment une « amicale » de prestidigitateurs qui a pris le nom de « Magicus ».

En 1926, un groupe de ses amis de Genive et de l’ étranger a fait apposer sur son monument funéraire au cimetière du Petit Saconnex une plaque de bronze avec son portrait en bas-relief et une dédicace.

Ainsi qu’il a été dit plus haut, Adolphe Blind a laissé quantité d’ articles éparpillés en de nombreuses revues. On lui avait proposé de publier un livre, « La Prestidigitation avec appareils», et qui eût été le pendant de celui de M. Camille Gaultier La Prestidigitation sans appareils. il n’y put malheureusement donner suite à temps.

A défaut de ce grand ouvrage qui eût mieux encore consacré la réputation du Professeur Magicus en résumant sa science et en marquant les résultats principaux d’un effort de près de cinquante ans, il nous est extrêmement agréable de présenter tout au moins un écrit original de quelque étendue composé vers la fin de sa vie.

Ayant entrepris avec un ami, M. Edouard Gélis, horloger à Paris, d’écrire un livre aussi complet que possible et très abondamment illustré sur Le Monde des Automates (livre qui doit paraître prochainement), j’eus le grand avantage, au cours de ces recherches, de pouvoir puiser dans la Bibliothèque de M. Blind. De plus, celui-ci nous fournit avec la plus grande amabilité une documentation, que lui seul possédait, sur ce que l’on peut appeler les « les automates » ou « automates truqués ». ils étaient utilisés très souvent par les illusionnistes à la fin de leurs séances ou furent même parfois présentés par des mystificateurs comme de véritables mécaniques indépendantes.

Si roman et film apportent au mystère qui plana si longtemps sur cette œuvre une solution qui, dans son pittoresque, n’est pas absolument fantaisiste, il est non moins captivant de voir présenter les données de cette question objectivement et dans une étude d’ensemble qui, du reste, ne manque, elle non plus, ni de couleur, ni de vie.

Les « automates truqués » sont (dans le monde infiniment varié des Automates) à eux seuls une manifestation extrêmement intéressante de l’ingéniosité humaine. A ce titre, nous ne doutons pas qu’ils reçoivent le meilleur accueil.

Alfred CHAPUIS (les automates truqués)