Dernières nouvelles

CHAPITRE XVII.

  • LE THÉATRE SAINT-JAMES.
  • INVASION DE L’ANGLETERRE PAR LES ARTISTES FRANÇAIS.
  • UNE FÊTE PATRONNÉE PAR LA REINE.
  • LE DIPLOMATE ET LE PRESTIDIGITATEUR.
  • UNE RECETTE DE 75,000 FRANCS.
  • SÉANCE À MANCHESTER.
  • LES SPECTATEURS AU CARCAN.
  • What a capital caraçao.
  • MONTAGNE HUMAINE.
  • CATACLYSME.
  • REPRÉSENTATION AU PALAIS DE BUCKINGHAM.
  • UN REPAS DE SORCIERS.

st james theatre

Mais il est temps de revenir à Saint-James; les machinistes, peintres et décorateurs doivent avoir
terminé leurs travaux, car le 7 mai est arrivé, et ce jour est le terme fixé pour que la scène me soit
livrée.
En effet, chacun a été de la plus grande exactitude. Dès le matin, le nouveau décor se trouve en
place, et comme, grâce à la recommandation faite par Mitchell, on a suspendu, ce jour-là, les
répétitions de l’opéra-comique, le théâtre reste entièrement libre pour toute la journée; je puis donc
me livrer tranquillement aux préparatifs de ma séance. Du reste, tout a été si bien prévu, si bien
disposé à l’avance, que mes apprêts se trouvent terminés lorsque le public commence à entrer dans la
salle.
J’avais, ainsi qu’on doit le penser, pris toutes mes précautions, toutes mes mesures, pour que rien
ne manquât dans ma séance, car une expérience qui, si elle réussit, doit produire de l’étonnement,
n’est plus en cas d’insuccès qu’une mystification à l’adresse de l’opérateur. Pauvres sorciers que
ceux dont le pouvoir surnaturel, dont les miracles tiennent à un fil!
Il est vrai qu’un prestidigitateur intelligent, quel que soit le mécompte qui lui survienne, doit
toujours savoir se tirer d’embarras, en se réservant un faux-fuyant qui puisse donner le change au
public. Néanmoins, si habile que l’on soit dans ces sortes de réparations, il est très difficile d’en
obtenir un heureux résultat, car ce n’est toujours qu’un rhabillage dont on voit quelquefois le joint.
J’avais bien, en toute occasion, une double manière de faire, mais j’avoue que j’étais désolé
quand j’étais obligé d’avoir recours à ces moyens secondaires qui, en allongeant l’expérience, en
rendent l’effet beaucoup moins saisissant.
Lorsqu’il s’agit de tours d’adresse, la chose est impossible, car là un escamoteur ne doit jamais
faillir, pas plus qu’un bon musicien ne doit faire une fausse note. S’il arrive qu’il se trompe, c’est
qu’il n’est pas suffisamment adroit, et il doit recourir au travail pour se perfectionner dans son art;
mais dans les expériences, il survient souvent des accidents que j’appellerai des coups de massue et
que l’homme le plus soigneux et le plus circonspect ne peut prévoir. On ne peut, dans ces
circonstances compter que sur les expédients que suggère l’esprit.
Ainsi, par exemple, il m’arriva un jour de briser le verre d’une montre qui m’avait été confiée
dans une séance. La position était embarrassante, car c’est une très mauvaise conclusion pour un tour,
que de rendre endommagé un objet qui vous a été confié en bon état.
Je m’approchai tranquillement de la personne qui m’avait prêté sa montre; je la lui présentai en
ayant soin que le cadran se trouvât tourné en-dessous, et au moment de la remettre, je la retirai
doucement.
—Est-ce bien votre montre? dis-je avec assurance.
—Oui, Monsieur, c’est elle.
—A merveille; j’étais bien aise de le faire constater. Voulez-vous, Monsieur, ajoutai-je en
baissant la voix, me la laisser pour un autre tour, que je vais faire dans quelques instants?
—Volontiers, me répondit le complaisant spectateur.
J’emporte alors le bijou sur la scène, et le remettant furtivement à mon domestique, je lui donne
l’ordre de courir en toute hâte chez un horloger pour y faire remettre un autre verre.
Une demi-heure après, je reviens auprès du propriétaire de la montre, et la lui rendant:
—Mon Dieu! Monsieur, lui dis-je, je viens de m’apercevoir avec regret que l’heure avancée de
la soirée ne me permet pas de faire le tour que je vous ai promis; mais comme j’espère avoir encore
le plaisir de vous voir à mes séances, veuillez me le rappeler la première fois que vous viendrez, et
je pourrai alors vous faire jouir de cette intéressante expérience… J’étais sauvé.
Cependant le public entrait à Saint-James, mais avec tant de calme que, bien que la loge où je
m’habillais fût près de la scène, je n’entendais aucun bruit dans la salle. J’en étais effrayé, car ces
entrées paisibles sont en France le pronostic certain d’une mauvaise recette pour le directeur, et pour
l’artiste les sinistres préliminaires d’un insuccès, disons le mot, d’un fiasco.
Dès que je fus en mesure de me présenter sur la scène, je courus au trou du rideau. Je vis alors
avec autant de surprise que de joie la salle complètement remplie et présentant en outre la plus
charmante société que j’eusse encore vue.
Il faut dire aussi que le théâtre Saint-James est un établissement hors ligne; il est en quelque sorte
un point de réunion pour la fine fleur de l’aristocratie anglaise, qui s’y rend dans le double but de
jouir du spectacle et de se perfectionner dans la prononciation de la langue française.
Un fait donnera une idée de l’élégance, du ton et de la tenue des spectateurs: il n’est permis à
aucune dame de garder son chapeau; si élégant qu’il soit, elle doit en entrant le déposer au vestiaire.
Cette mesure, du reste, rentre dans les habitudes anglaises, car les dames vont à ce théâtre en toilette
de bal, c’est-à-dire coiffées en cheveux et décolletées autant que la mode et les convenances le
permettent. De leur côté, les hommes s’y présentent vêtus de l’habit noir, cravatés de blanc et gantés
d’une manière irréprochable.
A Saint-James, le parterre n’existe que pour mémoire; relégué sous les balcons, c’est à peine si
l’on s’aperçoit de son existence. Tout le rez-de-chaussée est garni de stalles ou plutôt d’élégants
fauteuils, où les dames sont admises.
Le prix des places est en rapport avec le confortable qu’elles peuvent offrir. Chaque stalle se
loue douze shillings (quinze francs), et l’on peut entrer aux modestes places du parterre moyennant
trois shillings (trois francs soixante-quinze centimes). Ce n’est pas plus cher qu’à l’Opéra.
Tandis que j’étais à regarder avec ravissement cette élégante assemblée, je me sentis légèrement
frapper sur l’épaule. C’était Mitchell, qui venait délicatement me faire part de quelques invitations
qu’il avait cru convenable de faire.
—Eh bien! Houdin, me dit-il, quel est le résultat de votre examen? Comment trouvez-vous la
composition de notre salle?
—Charmante, mon cher Mitchell; je dirai même que c’est la première fois que, dans un théâtre, je
me trouve appelé à donner des représentations devant une aussi brillante réunion.
—Brillante est en effet le mot, mon ami, car vous saurez qu’au nombre de vos admirateurs (qu’on
me passe le mot de louange, c’est Mitchell qui parle) se trouve toute la presse anglaise, et la presse
anglaise possède un nombreux effectif. Nous devons avoir également pour spectateurs quelques
gentlemen dont l’opinion a la plus grande influence dans les salons de la capitale des Trois-
Royaumes; enfin grand nombre de places sont occupées par des célébrités artistiques qui seront de
justes appréciateurs de ce Robert-Houdin que, selon l’expression champenoise, nous avons fait
mousser comme il le mérite.
On doit penser, d’après ces détails, si cette représentation fut une solennité pour moi, et combien
j’apportai de zèle et de soins dans l’exécution de mes expériences. Je puis le dire, j’obtins un
véritable succès.
Parlerai-je maintenant de la bienveillance et des encouragements du public du théâtre Saint-
James? J’en appelle aux artistes célèbres qui, avant moi, ont joué sur cette scène: Rachel, Roger,
Samson, Regnier, Duplessis, Déjazet, Bouffé, Levassor, etc.; y a-t-il en Europe des spectateurs
comparables à ceux de Saint-James? Là, point de claqueurs; ils y seraient superflus; le public se
charge lui-même d’encourager les artistes. Les gentlemen ne craignent pas de faire craquer leurs
gants, et les dames font avec leurs petites mains tout le bruit dont elles sont capables.
Mais je m’arrête, car je craindrais en continuant de tomber dans le style du Grand Wizard.
Mes représentations suivirent leur cours à Saint-James, et me dédommagèrent amplement de ce
que j’avais perdu à Paris. Bien que je ne donnasse que quatre représentations par semaine, leur
résultat dépassait encore celui de mes plus beaux jours en France. Je ne pouvais certainement désirer
rien au-delà; mais Mitchell, plus expérimenté que moi en affaires de théâtre, avait une ambition qu’il
m’avait communiquée.
—Il faut, mon ami, m’avait-il dit, que vous jouiez devant la Reine, car alors seulement votre
vogue à Londres sera sanctionnée, et elle deviendra par conséquent plus durable.
Toutefois, Mitchell ne pouvait se dissimuler la difficulté d’obtenir la commande de cette
représentation; les circonstances, et je dirais même la politique, si je l’osais, semblaient s’y opposer.
Après les journées de février, les théâtres de Paris furent, ainsi que je l’ai dit plus haut, réduits à
n’avoir à peu près pour toute encaisse métallique que des billets de faveur; ils cherchèrent donc dans
les pays voisins, comme je l’avais fait moi-même, un public moins préoccupé de politique, et par
conséquent plus accessible à l’attrait des plaisirs.
L’Angleterre était le seul pays qui n’eût rien changé à ses habitudes de luxe et de plaisir; aussi
nombre de directeurs tournèrent-ils des regards d’espérance vers cet Eldorado.
Le théâtre du Palais-Royal, qui pourtant était un des moins malheureux, en raison des affaires
comparativement bonnes qu’il faisait, fut un des premiers à tirer à vue sur la riche métropole des
trois Royaumes-Unis.
Dormeuil, son habile directeur, divisa sa troupe en deux parties; l’une resta à Paris, tandis que
l’autre vint au théâtre Saint-James, en remplacement de l’opéra-comique qui avait terminé son
engagement avec Mitchell. Levassor, Grassot, Ravel, Mlle Scrivaneck, etc., eurent un éclatant succès
auprès de nos communs spectateurs.
Cette réussite fut connue à Paris et monta la tête du directeur du Théâtre Historique, M. H…..
Après s’être entendu avec les propriétaires d’un théâtre de Londres (Covent-Garden, je crois),
l’impressario y vint également avec une partie de sa troupe, pour représenter en deux soirées la pièce
de Monte-Christo.
L’arrivée de ces artistes, tous pour la plupart d’un grand mérite, mit en émoi les directeurs
anglais, et ceux-ci, craignant avec quelque raison un accaparement complet de leurs spectateurs,
résolurent de s’opposer à cette redoutable invasion.
—Que les théâtres Français et Italien de Londres, disaient-ils dans leurs récriminations, fassent
jouer sur leurs scènes des pièces, quelles qu’elles soient, leur privilége les y autorise, et nous
respectons leur droit. Mais nous ne souffrirons jamais que tous nos théâtres soient ainsi envahis, et
que Shakespeare soit détrôné par des auteurs étrangers.
La question de concurrence théâtrale prit bientôt le caractère d’une question de nationalité. Les
journaux prirent fait et cause pour les théâtres; le peuple lui-même adopta l’opinion des journalistes,
et devint une armée militante contre les nouveaux-venus.
M. H…. essaya néanmoins de faire représenter le chef-d’oeuvre d’Alexandre Dumas; mais il fut
impossible d’en entendre un mot, tant il se fit de bruit et de vacarme dans la salle, pendant tout le
temps que dura la représentation. En vain le directeur mit-il la plus courageuse persistance dans son
entreprise, il fut contraint céder devant cette imposante protestation, qui menaçait de dégénérer en
émeute, et il se décida à fermer le théâtre.
Mitchell tendit la main au malheureux directeur, et il lui offrit l’hospitalité à son théâtre pour
qu’au moins, avant de partir, il pût y représenter sa double pièce. A cet effet, il lui accorda un des
jours attribués aux représentations du Palais-Royal, et il lui promit de s’entendre avec moi sur la
soirée du lendemain, à laquelle j’avais droit pour ma séance.
Je n’avais rien à refuser à Mitchell, et le drame fut représenté dans son entier; après quoi la
troupe retourna en France.
Je fis cette concession avec le plus grand plaisir, puisqu’elle obligea d’estimables artistes;
j’ajouterai même que si semblable occasion se présentait encore d’obliger personnellement M. H….,
je la saisirais avec empressement, ne fût-ce que pour le faire penser à me remercier du premier
service que je lui ai rendu.
Quoi qu’il en soit, les protestations de la presse et du public contre les artistes étrangers avaient
eu du retentissement, et la reine Victoria croyait devoir observer une certaine réserve à notre égard.
Mais Mitchell n’était pas homme à se laisser décourager; il tenait à cette séance; il la voulait pour
notre intérêt commun, et il finit par l’obtenir. L’occasion vint du reste se présenter d’elle-même.
Une fête de bienfaisance, dont l’objet était la création d’un établissement de bains pour les
pauvres, fut organisée par les soins des plus hautes dames de l’Angleterre.
Cette fête devait avoir lieu dans une charmante villa, située à Fulham, petit village à deux pas de
Londres et appartenant à sir Arthur Webster, qui l’avait obligeamment mise à la disposition des
dames patronnesses.
Ce gracieux essaim de soeurs de charité était représenté par dix duchesses, quinze marquises et
une trentaine de comtesses, vicomtesses, baronnes, etc., en tête desquelles était la Reine, qui devait
honorer la fête de sa présence. C’était déjà plus qu’il n’en fallait pour faire promptement enlever tous
les billets, quel qu’en fût le prix. Cependant, par un excès de conscience, ces dames songèrent à
joindre à cet attrait quelques divertissements pour occuper agréablement les loisirs de la journée.
La première idée fut d’organiser un concert, et l’on songea naturellement, vu la qualité des
spectateurs, à choisir les meilleurs chanteurs de la capitale. On jeta les yeux sur le Théâtre Italien.
Mais là vint surgir une difficulté: il fallait aller demander à chaque artiste le concours gratuit de
son talent, et, comme c’était une faveur à implorer, l’ambassade présentait pour les jolies
solliciteuses une position délicate, qu’elles craignaient d’accepter.
Heureusement ces dames avaient eu le soin de s’adjoindre mon directeur, dont les conseils
intelligents devaient être très précieux dans l’organisation de la fête.
Mitchell fut chargé de voir les artistes, et il ne tarda pas à présenter une liste des talents les plus
remarquables: c’étaient Mme Grisi, Mme Castellan, Mme Alboni, Mario, Roger, alors engagé au
Théâtre Italien, Tamburini et Lablache.
Après le concert devait avoir lieu un divertissement qui ne pouvait manquer de piquer vivement
la curiosité. Un grand nombre de dames, revêtues de costumes empruntés aux diverses parties du
monde, avaient promis de former sur la pelouse des quadrilles de fantaisie dans lesquels elles
exécuteraient des danses de caractère; on avait dressé, à cet effet, des tentes élégantes et spacieuses.
Mais ce divertissement ne pouvait durer plus d’une heure, et il en restait encore deux, pendant
lesquelles on n’avait plus à offrir aux invités que les plaisirs de la promenade. On comprit que cette
distraction n’était pas suffisante, surtout en songeant que le prix d’entrée était fixé à deux livres (50
francs). On chercha alors, et l’on pensa à ma séance.
C’était ce que Mitchell attendait. Aussi prit-il sur lui, en raison de notre liaison amicale,
d’obtenir mon consentement. Il fit plus. Voulant à son tour apporter son obole aux malheureux, il offrit
de construire à ses frais un théâtre, dans le parc même, et d’y faire apporter la scène sur laquelle je
donnais ma séance. C’était en quelque sorte transporter le théâtre Saint-James à Fulham.

Mitchell me fit part de cette heureuse nouvelle, dont il attendait les meilleurs résultats, et je puis
dire tout de suite que ses prévisions se trouvèrent réalisées. Dès que l’on sut que la Reine assisterait
à une de mes représentations, bien des membres de la haute aristocratie, qui n’étaient pas encore
venus à Saint-James, y firent demander des loges.
Au jour fixé pour la fête de Fulham, je partis après mon déjeûner pour la résidence de sir Arthur
Webster. Mon régisseur, en compagnie des machinistes de Saint-James, y était depuis le matin, en
sorte qu’en arrivant je trouvai le théâtre complètement organisé. Décors, coulisses, frises, rideau, tout
y était, excepté cependant la rampe, qu’on avait jugée inutile, puisque le soleil devait la remplacer
avantageusement.
L’entrée du public était fixée à une heure après-midi, et bien que je ne dusse donner ma
représentation que vers quatre heures, mes dispositions étaient entièrement prises au moment où les
portes furent ouvertes. Déjà aussi les dames patronnesses étaient à leur poste pour recevoir la reine
et les autres membres de la famille royale. Ces dames étaient assistées par des commissaires pris
dans la plus haute noblesse, et parmi eux on citait le duc de Beaufort, le marquis d’Abercorn, le
marquis de Douglas, etc.
En attendant que je fusse acteur à mon tour, je ne songeai qu’à prendre part à la fête en simple
spectateur; je me dirigeai d’abord vers la porte d’entrée.
A peine y étais-je arrivé, que je vis descendre de voiture le duc de Wellington, le héros
populaire, devant lequel nobles et vilains s’inclinaient avec une respectueuse déférence.
Quelques minutes après, parurent le duc et la duchesse de Cambridge accompagnés de Son
Altesse le prince Frédérick-William de Hesse, et dans un groupe qui suivit immédiatement ces hauts
personnages, on me fit remarquer la duchesse de Kent, puis la duchesse Bernhard de Saxe-Weimar,
ainsi que les princesses Anne et Amélie.
Ces illustres visiteurs furent reçus par les dames patronnesses avec les honneurs dus à leurs
rangs, tandis que la musique des Royal-horse-Guards accompagnait chaque entrée de chants
nationaux.
On entendait au dehors la foule bruyante et animée, qui se pressait pour voir passer, au risque de
se faire écraser, les somptueux équipages bardés de ces laquais pimpants et poudrés dont la tête est
taxée par l’État à un si haut prix.
Les nombreux souscripteurs entraient avec empressement; chacun voulait être exact; on savait que
la Reine devait assister à la fête, et pour rien au monde un Anglais, grand ou petit, ne voudrait
manquer le plaisir de contempler une fois de plus les traits de her most gracious majesty.
Le poste que j’avais choisi était on ne peut plus favorable pour passer en revue les nouveaux
arrivants et ne manquer aucun personnage. Cependant, quelque attrait que pût me présenter ce brillant
panorama, j’avais hâte de prendre également connaissance de l’intérieur de ce palais féerique, et je
me préparais à m’y rendre, lorsque je jetai un dernier coup-d’oeil sur la porte d’entrée. Bien m’en
prit, car en ce moment arrivaient à peu de distance l’un de l’autre, le prince Louis-Napoléon, notre
Empereur actuel, le prince Edouard de Saxe-Weimar, le prince Lawenstein, le prince Léopold de
Naples et plusieurs autres grands personnages dont les noms m’échappent aujourd’hui.
Déjà à l’intérieur, les jardins, les serres, les appartements étaient encombrés de tout ce que
Londres possédait de plus riche et de plus puissant. C’est tout au plus si l’on pouvait circuler
librement. A chaque instant, un essaim formidable de marquises et de ladies me barrait le passage et
me forçait à m’effacer pour ne pas m’exposer à froisser les plus éblouissantes toilettes que j’eusse
jamais vues. Cela m’était assez difficile, car de quelque côté que je me jetasse complaisamment, je
risquais fort de rencontrer le même inconvénient, tant était nombreuse et compacte la réunion de
Fulham.
A deux heures et demie, la Reine n’était pas encore arrivée, et l’on ignorait si l’on devait
attendre Sa Majesté pour commencer la fête ou passer outre, lorsque des hurrahs frénétiques, dont
l’air retentit à un mille de distance, annoncèrent qu’elle paraîtrait bientôt.
Aussitôt les cloches du village sonnèrent à triple volée; la musique entonna l’hymne nationale de
God save the queen (Dieu sauve la Reine), et les plus jeunes et les plus jolies femmes vinrent former
une double haie sur le passage de Sa Majesté.
Ces apprêts étaient à peine terminés, que la Reine descendit de voiture, et suivant une immense
avenue tapissée de drap rouge et abritée par un dais aux riantes couleurs, se dirigea vers le salon où
le concert attendait sa présence pour commencer.
Là, au milieu du cercle qu’avaient formé les dames patronnesses, Sa Majesté prit place, et le
concert commença.
Certes, c’eût été avec bonheur que j’aurais écouté les douces mélodies, les voix si suaves et si
sonores qui furent entendues dans cette enceinte. Malheureusement le salon, malgré ses vastes
proportions, ne pouvait contenir tout le monde, et l’affluence était si grande que non-seulement il était
comble, mais que les abords s’en trouvaient envahis jusqu’au point où les dernières vibrations des
voix venaient s’éteindre.
Il fallut donc me contenter d’entendre du dehors les nombreux bravos accordés aux habiles
chanteurs. Roger surtout obtint un véritable triomphe dans son morceau de Lucie de Lammermoor; on
sait la manière ravissante dont il le chante. La Reine, elle-même, demanda qu’il le dît une seconde
fois.
Le concert se terminait à peine que, suivant le programme qui en avait été rédigé d’avance, la
Royale spectatrice vint assister aux quadrilles dans lesquels figuraient, on se le rappelle, des dames
revêtues de costumes rivalisant d’élégance et de richesse.
J’avais bien aussi le plus grand désir d’assister à ce gracieux spectacle, mais je crus utile à mes
intérêts d’aller jeter un dernier coup-d’oeil sur ma scène. Je me dirigeai donc vers mon théâtre où
l’on m’avait réservé une entrée particulière, et j’allais gravir les quelques marches qui y
conduisaient, quand je me sentis saisir par le bras.
—Ah! Monsieur Robert-Houdin, me dit en souriant un Monsieur, qui se mit à monter l’escalier
avec moi, cela se trouve à merveille, nous allons entrer de compagnie.
—Où cela, Monsieur? demandai-je, tout étonné de cette proposition.
—Où cela? mais sur votre théâtre, répondit l’inconnu d’un ton d’autorité, et j’espère bien que
vous ne me refuserez pas ce plaisir-là.
—Je suis fâché de vous refuser, Monsieur; mais cela ne se peut pas, dis-je poliment, sachant que
dans l’enceinte de Fulham, il ne pouvait y avoir que des gens pour lesquels on devait avoir des
égards.
—Pourquoi cela ne se pourrait-il pas? riposta mon interlocuteur avec une insistance marquée; je
trouve au contraire que rien n’est plus facile. Si nous ne pouvons passer de front par la porte, nous y
entrerons l’un après l’autre.
—Pardonnez-moi, Monsieur, de vous refuser, mais aucun étranger ne doit pénétrer sur ma scène.
—Ah bien! dit alors mon assaillant sur le ton de la plaisanterie, s’il en est ainsi, pour ne pas vous
être plus longtemps étranger, je vais vous dire mon nom. Je suis le baron Brunow, ambassadeur de
Russie, aussi grand admirateur de vos mystères que désireux de les pénétrer. Et il continuait à monter,
en cherchant à forcer la barrière que je lui opposais. Comment, Monsieur Robert-Houdin, ajouta-t-il,
vous me refusez? je ne vous demande pourtant qu’une ou deux confidences, rien de plus.
—Je persiste dans mon refus, Monsieur le baron, pour plusieurs raisons et principalement pour
celle-ci…
—Laquelle?
—C’est que vous possédez une perspicacité et un esprit trop généralement reconnus, pour que je
vous prive du plaisir de découvrir vous-même ces secrets, dignes à peine de votre haute intelligence.
—Ah! ah! fit en riant le baron, voilà de belle et bonne diplomatie; est-ce que vous voudriez
marcher sur mes brisées?
—J’en suis indigne, Monsieur le baron.
—Très bien! très bien! En attendant je me trouve repoussé avec perte et réduit à prendre place
parmi les spectateurs.—Je me rends; mais dites-moi, Monsieur Robert-Houdin, vous n’avez jamais
été en Russie?
—Non, Monsieur, jamais.
—Alors, donnez-moi votre carte.
—La voici.
L’ambassadeur mit son nom au bas du mien.
—Tenez, me dit-il en me la rendant, si vous avez le désir de visiter notre pays, cette carte vous
sera très utile, et si je me trouvais à Saint-Pétersbourg à cette époque, venez me voir, je vous
procurerai l’honneur de jouer devant Sa Majesté l’empereur Nicolas.
Je remerciai le baron Brunow, et il me quitta.
Pendant cet entretien, les quadrilles s’exécutaient, et ils n’étaient pas encore terminés, que déjà la
foule envahissait les places qui n’étaient pas réservées pour la famille Royale et la cour. La Reine
elle-même ne tarda pas à arriver, et aussitôt je reçus l’ordre de commencer.
Que n’ai-je une plume plus habile pour peindre avec de vives couleurs le riche tableau qui, à cet
instant, se déroula devant mes yeux éblouis! Je vais toutefois essayer de le décrire.
Que l’on se figure une immense pelouse s’élevant devant moi en amphithéâtre et comme disposée
pour être le parterre de ma scène. Certes, l’on n’eût pu dire si l’herbe ou le sable recouvrait ces
gradins naturels, tant ils étaient couverts de spectateurs, je devrais dire de spectatrices, car les
Messieurs n’étaient point admis dans cette enceinte.
Au premier plan et près de mon théâtre, la Reine, ayant à sa droite son Royal époux, était
entourée de sa jeune et gracieuse famille. Un peu en arrière, les dames de la cour, assistées des
dames patronnesses, formaient l’entourage de Sa Majesté. Puis, au second plan, à une distance
respectueuse, étaient assises les femmes et les filles des nombreux souscripteurs. Quant aux
Messieurs, on les voyait symétriquement groupés autour de cette vaste enceinte.
C’était vraiment un coup-d’oeil ravissant que ces femmes aux blanches parures, éblouissantes de
jeunesse et de beauté, couvertes de diamants et de fleurs, et rivalisant entre elles de bon goût, de
richesse et d’éclat.
De l’endroit où je me trouvais, on eût dit une vaste prairie couverte de neige, sur laquelle
s’étalaient les plus riches fleurs du printemps, et les habits noirs des spectateurs qui encadraient ce
riant tableau, loin de l’obscurcir, en rehaussaient l’éclat.
Sur les côtés de la pelouse, des chênes séculaires apportaient leur frais ombrage à cette salle de
spectacle improvisée.
De quel noble orgueil je me sentis saisi, en voyant qu’à moi seul je tenais, pour ainsi dire,
suspendus à mes doigts, ces jolis yeux de duchesses, si fiers quelquefois, mais alors si bienveillants,
et qui semblaient à chaque instant prendre un nouvel éclat à la vue des surprises que je leur causais!
Dans cette représentation unique dans ma vie, le temps se passa pour moi avec une telle rapidité,
que je fus tout étonné d’en être arrivé à présenter la dernière de mes expériences.
Avant de quitter sa place, la Reine, bien qu’elle eût plusieurs fois témoigné sa satisfaction, me fit
complimenter par un officier d’ordonnance, qui m’exprima également le désir de Sa Majesté d’avoir
plus tard une représentation à son palais de Buckingham.
Afin de n’être point retardé par le départ des nombreux équipages qui stationnaient aux portes du
parc, j’avais pris toutes mes mesures pour partir immédiatement après ma séance. Aussi, tandis que
chacun reconduisait la Reine, je montai en voiture et je quittai la fête.
Un fait peut donner une idée du nombre de mes spectateurs, c’est que je fus plus d’un quart
d’heure à dépasser les équipages qui étaient rangés sur une double ligne, le long de la route. Du reste,
le produit de la fête le fera mieux connaître encore. La recette s’est élevée à deux mille cinq cents
guinées, quelque chose comme soixante-quinze mille francs!
Dès le lendemain, Mitchell fit mettre en tête des affiches annonçant mes séances, les armes de la
Reine, et au-dessous, cette phrase sacramentelle, sorte de certificat de baptême: Robert-Houdin who
has had the honor to perform befor her most gracious Majesty the Queen, the prince Albert, the
Royal family and the nobitily of the united Kindom…
Ma vogue n’en devint que plus grande à Saint-James.
Nous étions alors à la fin de juillet, et tout autre qu’un Anglais comprendra difficilement
comment il est possible d’obtenir un succès dans un théâtre pendant les chaleurs caniculaires de l’été.
Je dirai donc que chez nos voisins d’Outre-Manche, où tous nos usages sont intervertis, la saison des
concerts, des fêtes et des spectacles a lieu à partir du mois de mai jusqu’à la fin d’août. Une fois
septembre arrivé, la noblesse rejoint ses manoirs féodaux, et pendant six mois, consacre à la vie de
famille un temps que les plaisirs et les fêtes ne viennent plus lui disputer.
Je fis comme mes spectateurs; je quittai Londres vers le commencement de septembre, non,
comme eux, pour prendre du repos, mais au contraire pour entrer dans une vie encore plus agitée que
celle que je quittais. Je me dirigeai vers le théâtre de Manchester, dont Knowles, le directeur, avait
contracté avec moi un engagement pour une quinzaine de représentations.
Le théâtre de cette ville est immense; semblable à ces vastes arènes de l’antique Rome, il peut
renfermer dans son sein un peuple tout entier. Il suffira de dire, pour donner une idée de sa grandeur,
que douze cents spectateurs remplissent à peine le parterre.
Lorsque je pris possession de la scène, je fus effrayé de sa vaste étendue; je craignais de m’y
perdre, car là un homme ne paraît plus dans ses proportions naturelles, et la voix s’égare comme dans
un désert.
On m’expliqua plus tard les raisons qui avaient fait construire un aussi gigantesque monument.
Manchester, ville éminemment industrielle et manufacturière, compte les ouvriers par milliers.
Or, ces rudes travailleurs sont tous amateurs de spectacle, et, dans leur existence au jour le jour, ils
sacrifient volontiers à ce plaisir une ou deux soirées par semaine; il fallait donc une enceinte capable
de les contenir.
On doit penser, vu la grandeur de la salle, qu’un grand nombre des expériences que je présentais
à Saint-James ne devaient plus convenir au théâtre de Manchester; je fus obligé de composer un
programme, dans lequel il n’y aurait que des prestiges qui pussent être vus de loin, et dont l’effet
frappât les masses.
A l’annonce de mes représentations, les ouvriers accoururent en foule, et, le parterre, leur place
favorite, fut littéralement encombré, tandis que les autres places laissaient apercevoir bien des vides.
C’est assez l’ordinaire du reste, aux premières représentations en Angleterre: pour se décider à aller
voir une pièce ou un artiste, certaines gens veulent lire sur le journal le compte-rendu et l’opinion du
feuilletonniste, qui ne manque jamais de paraître le lendemain.
L’entrée s’était faite avec un tumulte dont on ne pourrait trouver d’exemple dans aucun théâtre, en
France, si ce n’est dans les représentations gratuites données à Paris dans les grandes solennités.
Avant de faire lever le rideau, je dus attendre et laisser à mon bruyant public le temps de se calmer;
insensiblement l’ordre et le silence s’étant à peu près rétablis, je commençai ma séance.
Au lieu de ce monde fashionable, de ces élégantes toilettes, de ces spectateurs qui semblaient
répandre dans la salle un parfum tout aristocratique, de ce public d’élite enfin, que je rencontrais à
Saint-James, je me trouvais en présence de simples ouvriers aux vêtements modestes et uniformes,
aux manières brusques, aux ardentes démonstrations.
Mais ce changement, loin de me déplaire, stimula au contraire ma verve et mon entrain, et je me
mis bientôt à l’aise avec mes nouveaux spectateurs lorsque je vis qu’ils prenaient un vif intérêt à mes
expériences. Pourtant, un incident faillit dès le principe, susciter contre moi un mécontentement
fâcheux.
Loin de venir à mes séances pour se perfectionner dans l’étude de la langue française, les
ouvriers de Manchester furent très étonnés quand ils m’entendirent m’exprimer dans une langue autre
que la leur. Des protestations m’interrompirent à plusieurs reprises; speack english, criait-on de
toutes parts et sur tous les tons, speack english.
Me faire parler anglais était une exigence à laquelle il m’était matériellement impossible de me
soumettre; j’étais resté, il est vrai, six mois à Londres, mais me trouvant constamment en contact avec
des compatriotes, ou avec des gens qui comprenaient le français, je n’avais jamais eu besoin de
recourir à la langue anglaise. J’essayai pourtant de satisfaire une réclamation que je sentais légitime,
et de suppléer à ce qui me manquait par de l’audace et de la bonne volonté. Je savais quelques mots
d’anglais, je me mis à les débiter; lorsque mon vocabulaire se trouvait en défaut et que j’étais sur le
point de rester court, j’inventais des expressions, des phrases qui, en raison de leur tournure bizarre,
amusaient beaucoup mon auditoire. Il m’arrivait souvent aussi, dans les cas embarrassants, de
m’adresser à lui pour qu’il me vînt en aide, et c’était à mon tour d’avoir bonne envie de rire.
—How do you call it? (comment appelez-vous cela?) disais-je avec un sérieux comique en
présentant l’objet dont je voulais savoir le nom. Et tout aussitôt cent voix répondaient à ma demande.
Rien n’était plus plaisant que cette leçon ainsi prise, et dont les cachets, contrairement à l’usage,
avaient été payés par mes spectateurs.
Grâce à ma condescendance, je parvins à faire la paix avec mon public, et il la cimenta
chaudement à plusieurs reprises par de bruyants applaudissements. Le dernier tour surtout obtint
d’unanimes suffrages; je veux parler de la bouteille inépuisable, qui fut entourée d’une mise en scène
qu’on n’a peut-être jamais vue dans aucun théâtre.
Le tableau que présenta ce tour est indescriptible; un habile pinceau pourrait seul en retracer les
nombreux détails. En voici cependant une esquisse aussi exacte que possible:
J’ai dit plus haut que, si les spectateurs manquaient dans quelques endroits de la salle, le parterre
était comble; il représentait par conséquent un groupe de plus de douze cents individus.
C’était pour moi une scène vraiment curieuse de voir toutes ces têtes sortant invariablement de
vestes dont la couleur foncée rehaussait encore la fraîcheur de ces physionomies, que peuvent seuls
donner le Porter et le rosbif de la Grande-Bretagne.
Pour que je pusse communiquer plus facilement avec mes nombreux spectateurs, le machiniste
avait établi un plancher qui allait de la scène à l’extrémité du parterre, et, comme je désirais
m’adresser également aux personnes placées sur le côté, on avait mis à quelques centimètres de
l’appui des galeries deux autres praticables beaucoup moins longs que celui du centre. Ces deux
derniers n’avaient pas comme l’autre le désavantage d’occuper des places, car ils se trouvaient
directement au-dessus d’un passage. Seulement, ceux qui arrivaient par là avaient été forcés de se
courber pour se rendre à leur destination? mais qu’était ce petit inconvénient en raison du plaisir
qu’on se promettait en voyant a french conjuror (un sorcier français), ainsi que m’appelaient les
ouvriers.
Or, ma séance était commencée, que le public entrait encore au parterre; et l’on y mit tant de
monde, qu’à la fin il n’y eut plus de places pour les retardataires.
Plusieurs d’entre eux eurent la constance de rester courbés sous les praticables, et, regardant
tantôt à droite, tantôt à gauche, ils purent suivre, tant bien que mal, le cours de mes expériences. Mais
un de ces intrépides spectateurs, fatigué sans doute de la posture incommode qu’il était obligé de
garder, s’ingénia de passer la tête à travers l’étroit espace qui se trouvait entre le praticable et la
galerie. Il s’y prit du reste fort adroitement: il passa d’abord son chef de côté, puis il se retourna vers
moi, exactement comme s’il se fût agi d’un bouton dans une boutonnière.
Cette innovation fut, comme on le pense bien, gaiement et bruyamment accueillie par
l’assemblée, et ce malheureux eut à subir le sort réservé à tous les novateurs: on lui fit un affreux
charivari, on l’accabla de quolibets. Mais il ne s’en inquiéta pas, et son flegme désarma les
détracteurs de son invention.
Encouragé par son exemple, un voisin essaya du mécanisme de la boutonnière, puis un second, un
troisième, et enfin, vers le milieu de la séance, une demi-douzaine de têtes dont on ne connaissait pas
les corps se trouvaient symétriquement rangées de chaque côté de la scène et présentaient assez
l’aspect de jeux de boules attendant les amateurs de cet exercice.
J’en étais donc arrivé au tour de la bouteille, qui consiste, on le sait, à faire sortir d’un flacon
vide toutes les liqueurs qui peuvent être demandées, quel que soit le nombre des consommateurs.
La réputation de cette fameuse bouteille était déjà établie à Manchester; les journaux de Londres
y avaient porté les détails de cette expérience. Aussi un hurrah général s’éleva de toutes parts quand
je parus armé de ma fiole merveilleuse, car outre l’attrait que pouvait offrir ce tour, l’ouvrier
comptait encore sur le plaisir to drinck a glass of brandy, ou de toute autre liqueur.
Flatté de cette réception, je m’avançai jusqu’au milieu du parterre suivi de mon domestique, qui
portait une innombrable quantité de verres. Je n’eus pas besoin, comme à Londres, de provoquer les
demandes. A peine étais-je arrivé, que déjà mille voix criaient à l’envi: brandy, wiskey, gin, curaçao,
kirsch, rhum, etc.
Il m’était impossible de satisfaire à la fois tout le monde; je voulus alors procéder par ordre, et,
remplissant un verre, je le présentai à celui qui semblait m’avoir fait la première demande; mais,
amère déception pour le consommateur! vingt mains s’élancent pour lui disputer la précieuse liqueur,
et chacune tirant de son côté, le verre se renverse. Les spectateurs, livrés au supplice de Tantale,
appellent à grands cris ce liquide, qui n’a pu s’approcher de leurs lèvres; je remplis un second verre,
il subit le même sort que le premier, et l’acharnement devient tel, que le cristal se brise entre les
mains des lutteurs obstinés.
Plus loin on m’adresse la même demande, je fais la même distribution, et nul ne peut encore en
profiter.
Sans m’inquiéter du résultat, je verse la liqueur à profusion et la livre à la rapacité des
consommateurs.
Bientôt tous les verres ont disparu; c’est en vain que je les réclame pour continuer mes largesses,
il n’en reste plus vestige. Mon expérience allait donc se trouver brusquement terminée, lorsqu’un
spectateur plus avisé eut l’idée de me tendre la main en guise de coupe.
Le procédé, ma foi, était aussi simple qu’ingénieux; c’était l’oeuf de Christophe-Colomb.
L’étonnement qu’en éprouvèrent les voisins permit à l’inventeur de tirer parti de sa découverte, chose
bien rare, hélas!
La coupe improvisée fit fortune, et chacun de me tendre la main; mais, ô imitatores, servum
pecus, comme dit Horace, les imitateurs virent leur contrefaçon éprouver, sauf la casse, les mêmes
péripéties que les verres et leur apporter le même résultat.
De guerre lasse, j’allais me retirer, quand un nouveau perfectionnement fut proposé par un
spectateur aussi altéré que tenace: renversant la tête en arrière et ouvrant démesurément la bouche, il
m’engagea par gestes à lui ingurgiter du curaçao. Trouvant l’idée originale, je le satisfis sur-lechamp.
—What a capital curaçao, fit mon homme en se passant la langue sur les lèvres.
Cette séduisante exclamation fut à peine entendue, que toutes les bouches étaient ouvertes et les
têtes immodérément renversées; c’était à me faire fuir de frayeur. Cependant, pour ne pas laisser
inachevée une aussi curieuse scène, je fis une tournée d’arrosage ajustant les embouchures de mon
mieux. Il arrivait bien quelquefois que l’entonnoir, bousculé par les voisins, laissait égarer un peu de
liqueur sur les vêtements, mais, sauf ce léger inconvénient, tout allait à merveille, et je crus avoir
enfin rempli la rude tâche de désaltérer mon auditoire. Pourtant j’entendis encore quelques
réclamations. A glass of wiskey, implorait un de ces intrépides spectateurs qui s’étaient, on se le
rappelle, glissés entre le plancher et la galerie, et dont la tête ruisselante de sueur semblait être le
chef de quelque corps bien replet.
Mon fils, qui me servait en scène, et qui, l’un des premiers, avait entendu cette requête, comprit
tout le désir que pouvait avoir le pauvre solliciteur; il courut sur la scène chercher un verre que je me
hâtai d’emplir, et il le lui porta.
Mais une difficulté surgit tout-à-coup; le réclamant et ses compagnons étaient enfermés dans leurs
carcans, côte à côte, et cette circonstance ne leur permettait pas d’élever les bras, à moins qu’il ne se
fît un vide entre eux. Mon fils, qui n’y réfléchissait pas, présenta le verre, et voyant que personne ne
le prenait, se disposa à le reporter sur la scène. Un gémissement le fit retourner sur ses pas, et, à l’air
du patient, il comprit que celui-ci le suppliait de se baisser, et d’approcher le verre de ses lèvres.
Cette délicate opération s’effectua du reste avec beaucoup d’adresse de part et d’autre, et malgré
les rires du public, chacun des compagnons du privilégié réclama à son tour le même service.
Cette petite scène semblait avoir calmé l’ardeur du public; je crus possible de terminer mon
expérience par le coup de fouet qui doit la faire valoir. Il s’agit, lorsque ma bouteille semble épuisée,
d’en faire sortir encore un énorme verre de liqueur; mais une scène à laquelle j’étais loin de
m’attendre fut celle qui m’accueillit alors.
On a souvent parlé des saturnales que provoquaient les affreuses distributions de vin et de
comestibles qui se faisaient sous la restauration. Eh bien! ces orgies n’étaient que des repas de bonne
compagnie, comparativement à l’assaut qui se livra pour arriver jusqu’au verre que je tenais à la
main.
Une montagne humaine se dressa subitement devant moi, et de cette pyramide vivante, sortirent
deux cents bras pour se disputer leur proie, comme aussi s’ouvrirent cent bouches pour l’engloutir.
Je songeai qu’il était prudent de battre en retraite, dans la crainte d’être englouti sous cette masse
informe. Impossible! Derrière moi, une haie de buveurs altérés me barra le passage.
Le danger était pressant, car la pyramide se penchait pour m’atteindre et semblait devoir perdre
l’équilibre d’un moment à l’autre; les cris des malheureux qui la supportaient, témoignaient assez de
la position douloureuse à laquelle je pouvais à mon tour être soumis; je me précipitai, tête baissée,
traversai l’obstacle qu’on voulait m’opposer, et je pus arriver sur la scène assez à temps pour jouir
du curieux spectacle de l’éboulement de la montagne.
Je renonce à peindre les cris de joie, les hurras, les applaudissements qui accueillirent cette
chute, tandis que les victimes vociféraient des récriminations, s’agitaient, pêle-mêle, ne trouvant pour
se relever d’autre appui que les corps récalcitrants de leurs compagnons d’infortune. C’était un
vacarme digne de l’enfer.
Le rideau se baissa sur cette scène, mais des cris et des battements de mains se firent entendre
aussitôt; on rappelait le conjuror Houdin pour le féliciter de sa séance.
Je me rendis à cet appel, et quand je parus, soit que dans le tour de la bouteille j’eusse été peutêtre
un peu trop prodigue de mes liqueurs, soit que mes braves spectateurs, comme j’aime à le croire,
eussent été satisfaits de ma séance, des trépignements et des applaudissements éclatèrent d’une
manière si formidable, que j’en restai saisi, tout en ressentant vivement le plaisir qu’ils me
procuraient. Car il faut le dire, ce bruit de deux mains frappant l’une contre l’autre, si agaçant qu’il
soit en lui-même, n’a rien qui choque l’oreille d’un artiste. Au contraire, plus il est étourdissant, plus
il semble harmonieux à celui qui en est l’objet.
Les séances qui suivirent furent loin d’être aussi tumultueuses que la première, et la raison en est
tout simple. Les représentants du commerce et de l’industrie, la seule aristocratie de Manchester,
ayant entendu parler de ma séance, vinrent à leur tour, en compagnie de leurs familles, pour y
assister; leur présence contribua à tenir en respect les ouvriers, dont le plus grand nombre se trouvait
sous leur direction. La salle changea d’aspect, et je n’eus plus qu’à me louer par la suite de la
tranquillité des spectateurs du parterre.
Quinze représentations consécutives n’avaient pas épuisé la curiosité des habitants de la ville, et
certes j’eusse pu continuer encore pendant quinze jours au moins, lorsqu’à mon grand regret je fus
obligé de céder la place à deux artistes célèbres, Jenny Lind et Roger, avec lesquels Knowles avait
également contracté un engagement, à jour fixe.
Si j’étais fâché d’abandonner ainsi un aussi beau succès, d’un autre côté, je l’avoue, je me
trouvais heureux de fuir au plus vite cette atmosphère lourde et enfumée, qui fait ressembler la
capitale industrielle de l’Angleterre à une ville de ramoneurs. Je ne pouvais habituer mes poumons à
respirer en guise d’air vivifiant les flocons de noir de fumée dont l’air est incessamment chargé.
J’étais tombé dans une tristesse qui tenait presque du spleen et qui ne me quitta que lorsque j’arrivai
dans la riante ville de Liverpool, où je m’étais engagé à rester quelques semaines.
Le lecteur me permettra de ne pas parler des représentations que j’y donnai, non plus que de
celles qui eurent lieu dans d’autres villes.
J’étais alors en pleine voie de succès. Toutes mes séances commençaient par des
applaudissements et finissaient par l’encaissement d’une bonne recette. Je me contenterai de dire
qu’après avoir joué successivement sur les théâtres de Liverpool, de Birmingham, de Worcester,
Cheltenam, Bristol et Exeter, je rentrai à Londres pour y donner encore une quinzaine de
représentations avant de revenir en France.
Quelques jours après ma rentrée à Saint-James, la Reine se souvenant, sans doute, du désir
qu’elle m’avait témoigné à Fulham, me fit demander une représentation dans son Palais de
Buckingham.
Cette invitation ne pouvait m’être que très agréable, je l’acceptai avec empressement.
Au jour indiqué, dès huit heures du matin, je me rendis à la demeure royale. L’intendant du palais,
auquel on m’adressa, me conduisit à l’endroit où devait avoir lieu ma représentation. C’était une
longue et magnifique galerie de tableaux. On y avait élevé un théâtre dont la scène représentait un
salon Louis XV, blanc et or, à peu de chose près semblable à celui que j’avais à Saint-James.
Mon conducteur me montra ensuite une salle à manger voisine: c’était, me dit-il, celle des dames
d’honneur, et il me pria d’indiquer l’heure à laquelle je désirais qu’on nous y servît à déjeûner.
J’étais trop préoccupé pour penser à manger, car j’avais à organiser ma séance. Toutefois je
commandai, à tout hasard, mon repas pour une heure de l’après-midi, et je me mis aussitôt à l’oeuvre.
Grâce à l’assistance de mon secrétaire (sorte de factotum) et de mes enfants, qui m’aidaient dans
la proportion de leurs moyens, je parvins à surmonter toutes les difficultés que m’offraient les
dispositions provisoires de la scène. Mais ce ne fut qu’à deux heures que j’eus entièrement terminé
tous mes apprêts. Je tombais presque d’inanition, car moins heureux que mes compagnons de travail,
je n’avais encore rien pris de la journée. Aussi ce fut avec un véritable plaisir que j’ouvris la marche
dans la direction de la salle à manger.
La séance devait avoir lieu à trois heures; j’avais donc une heure devant moi pour me
réconforter.
J’avais à peine fait quelques pas, que je m’entendis appeler derrière moi. C’était un officier du
palais qui demandait à me parler.
—Monsieur, me dit-il en fort bon français, il y aura bal dans cette galerie, après votre séance; on
doit pour cela faire quelques apprêts qui seront peut-être plus longs qu’on ne pense; en conséquence,
la Reine vous prie de vouloir bien commencer votre représentation une heure plus tôt; elle se trouve
prête à venir y assister, et elle ne tardera pas à arriver.
—Je regrette vivement de ne pouvoir accorder à Sa Majesté ce qu’elle me demande, répondis-je;
mes préparatifs ne sont pas encore terminés, et puis je vous avouerai que…
—Monsieur Robert-Houdin, reprit poliment l’officier, tout en conservant le flegme d’un enfant de
la Tamise, ce sont les ordres de la Reine, je ne puis rien vous dire de plus. Et sans attendre mes
explications, il me salua avec urbanité et s’éloigna.
—Nous aurons toujours bien le temps de déjeûner à la hâte, dis-je à mon secrétaire; dirigeonsnous
au plus vite vers la salle à manger.
Je n’avais pas achevé ces paroles, que la Reine, le Prince Albert et la famille Royale entrèrent,
suivis d’une suite nombreuse.
A cette vue, je ne me sentis pas le courage d’aller plus loin; je revins sur mes pas, et, ainsi que
cela m’était arrivé dans des circonstances analogues, je m’armai de résignation contre la souffrance.
Protégé par le rideau qui me séparait des spectateurs, je me hâtai de terminer quelques petits
préparatifs qui me restaient à faire, et cinq minutes après, je reçus l’ordre de commencer.
Lorsque le rideau se leva, je fus émerveillé du spectacle qui s’offrit à mes yeux.
Leurs Majestés, la Reine Douairière, le Duc de Cambridge, oncle de la Reine, et les enfants
Royaux occupaient le premier rang. Derrière eux, se tenait une partie de la famille d’Orléans; puis
venaient des personnages de la plus haute distinction, parmi lesquels je reconnus des ambassadeurs
revêtus de leurs costumes nationaux, et des officiers supérieurs, couverts de brillantes décorations.
Toutes les dames étaient en toilettes de bal et ornées de riches parures. La galerie était entièrement
remplie.
Je ne puis dire ce qui se passa en moi, lorsque je commençai ma séance. Mon malaise s’était
subitement évanoui, et je me trouvais même parfaitement dispos.
Pourtant cette situation s’explique sans difficulté. Il est un fait reconnu, c’est qu’il n’y a plus de
souffrance pour l’artiste dès qu’il est en scène. Une sorte d’exaltation de ses facultés suspend en lui
toute sensation étrangère à son rôle, et jamais tant qu’il restera en présence du public, on ne le verra
soumis à aucune des misères de la vie. La faim, la soif, le froid, le chaud, la maladie même sont
forcés de battre en retraite devant la puissance de cette exaltation, dussent-elles après reprendre plus
vivement leur empire.
Cette petite digression était nécessaire pour expliquer les bonnes dispositions dont je me sentis
animé, lorsque je me présentai devant la noble assemblée.
Jamais, je crois, je n’eus autant de verve et d’entrain dans l’exécution de mes expériences;
jamais aussi, je n’eus un public plus gracieusement appréciateur.
La Reine daigna plusieurs fois m’encourager par des paroles flatteuses, tandis que le Prince
Albert, si bon pour les artistes, applaudissait joyeusement des deux mains.
J’avais préparé un tour intitulé le bouquet à la Reine; voici ce qu’en disait le Court Journal (le
journal de la cour) dans un compte-rendu qu’il fit de ma séance:
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
«La Reine, dit le journal anglais, prenait un plaisir extrême à ces expériences; mais celle qui
sembla la frapper le plus, fut le bouquet à la Reine, surprise très gracieuse et d’un charmant àpropos.
Sa Majesté ayant prêté son gant à M. Robert-Houdin, celui-ci en fit immédiatement sortir un
petit bouquet, qui devint bientôt assez gros pour être difficilement contenu dans les deux mains. Enfin
ce bouquet, posé dans un vase et arrosé d’une eau magique, se transforma en une guirlande dont les
fleurs formèrent le nom de VICTORIA.
»La Reine fut également émerveillée de l’étonnante lucidité du fils de Robert-Houdin dans
l’expérience de seconde vue. Les objets les plus compliqués avaient été préparés à l’avance, afin
d’embarrasser et de mettre en défaut la sagacité du père et la merveilleuse faculté du fils. Tous deux
sont sortis victorieux de ce combat intellectuel et ont déjoué tous les projets.»
Après la séance, le même officier auquel j’avais eu déjà affaire vint de la part de la Reine et du
Prince Albert m’adresser leurs félicitations. La Duchesse d’Orléans avait bien voulu y joindre ses
compliments et ceux de sa famille.
Une fois le rideau baissé, ne me trouvant plus soutenu par la présence des spectateurs, je me
sentis presque défaillir. Je m’étais assis, et je n’avais plus la force de me lever pour aller prendre le
repas dont j’avais un si grand besoin.
J’allais cependant le faire, lorsque je fus tiré de mon accablement par l’apparition d’un corps
nombreux d’ouvriers, qui arrivaient en toute hâte pour démolir le théâtre, l’enlever et organiser les
apprêts du bal.
Que l’on juge de mon embarras et de mon tourment! Il fallait démonter et emballer toutes mes
machines, qui sans cela eussent été brisées.
Je voulus protester, retarder l’exécution d’un tel travail; ce fut en vain: des ordres supérieurs
avaient été donnés; ils devaient être exécutés. Je fus alors obligé de puiser dans une nouvelle énergie
la force nécessaire à mon emballage, qui ne dura pas moins d’une heure et demie.
Six heures sonnaient quand tout fut terminé. Il y avait juste vingt-quatre heures que je n’avais pris
de nourriture.
Conduit par mon régisseur, qui avait eu la précaution de faire servir le dîner, je me traînai
jusqu’à la salle à manger.
Le jour venait de finir, et l’appartement n’était pas encore éclairé. Ce fut à grand’peine que nous
distinguâmes une table. Je tombai plutôt que je ne m’assis sur une chaise qui se trouva près de moi, et
tandis que mon fils aîné sonnait pour qu’on apportât de la lumière, je commençai un travail de
seconde vue par appréciation. Cette faculté me servit à merveille; je mis la main sur une fourchette et,
piquant à tout hasard devant moi, je rencontrai quelque chose qui s’y attacha. Je portai prudemment
l’objet à mon odorat et, satisfait de ce contrôle, j’y donnai un victorieux coup de dent.
C’était délicieux; je crus reconnaître un salmis de perdreaux.
Je fis une seconde exploration pour m’en assurer, et après quelques coups de fourchette, je pus
me convaincre que je ne m’étais pas trompé. Mon régisseur et mes enfants avaient suivi mon exemple
et s’escrimaient aussi de leur côté.
On est lent, à ce qu’il paraît, à servir dans les maisons royales, car avant que les lumières fussent
arrivées, nous eûmes le temps de nous familiariser avec l’obscurité.
Du reste, ce repas devenait pour nous, en raison de son originalité, une véritable partie de
plaisir; j’avais même déjà saisi un flacon pour me verser à boire, quand soudain la porte de la salle
s’ouvrit et deux valets se présentèrent portant des candélabres. En nous voyant ainsi attablés et
mangeant de la façon la plus tranquille, ces deux hommes faillirent tomber à la renverse. Je suis
persuadé qu’ils nous prirent, à cet instant, pour de véritables sorciers, car ce fut à grand’peine qu’ils
se décidèrent à rester pour continuer leur service.
Nous prîmes alors nos aises; la table était bien servie, les vins étaient excellents, et nous pûmes
nous remettre des fatigues et des émotions de la journée. Sur la fin du repas, l’intendant du palais
nous fit une visite, et dès qu’il eut appris mes infortunes, il m’en témoigna tous ses regrets; la Reine,
m’assura-t-il, serait d’autant plus fâchée de cette nouvelle, si elle lui parvenait, qu’elle avait donné
les ordres les plus exprès pour que rien ne vous manquât dans son palais.
Je répondis que je me trouvais bien dédommagé de quelques instants de souffrance par la
satisfaction d’avoir été appelé à présenter mes expériences devant la gracieuse souveraine. C’était
aussi la vérité.